Article écrit par Olivier SEPULCHRE dans le cadre de son Master TEF (Technologies pour l’Éducation et la Formation) en 2016.

Travaillant comme animateur socioculturel pendant plus de dix ans, Olivier SEPULCHRE s’est intéressé depuis quelques années à comment intégrer les outils numériques dans une démarche de loisirs éducatifs pour tous.
Co-président des Petits Débrouillards Grand Ouest, il tente de trouver du sens aux activités scientifiques et techniques, et les manières de diffuser les savoirs au plus grand nombre.
Il est également directeur d’un accueil adolescents en Bretagne. 
Le contacter : olivier0sepulchre@gmail.com

 

Étude de la méthode de « Classe Accompagnée » développée par Alan Coughlin

 

Introduction

Lors de l’année 2015 – 2016, j’ai été en stage au Collège Max Jacob à Josselin (56) en tant qu’assistant Pédago-technique auprès des professeurs de l’établissement. J’ai notamment travaillé avec M. Coughlin, qui était chargé des différents aspects du numérique au sein de l’établissement (Résentice : membre du réseau des médiateurs des technologies ; RUPN : Référent aux Usages Pédagogiques du Numérique, chargé de développer les pratiques pédagogiques et les différentes manières de faire travailler les outils numériques.)

En plus de ces différentes missions, M. Coughlin développait, dans son enseignement d’Anglais, une méthodologie innovante, proche de ce qu’on appelle aujourd’hui la classe inversée, et qu’il nommait la classe accompagnée.

Je vais donc étudier ce dispositif, au sens de “ l’artefact fonctionnel qui matérialise une organisation particulière d’objets, d’acteurs, de structures et de systèmes de relations, en fonction des objectifs de formation dans une situation donnée » (Albero, 2010)

Peu après mon arrivée sortait une conférence TEDx dans laquelle il expliquait les raisons et les valeurs qui l’avaient fait choisir cette méthode d’enseignement.

Lors de ce travail, je vais d’abord décrire la méthode mise en place au sein de la classe d’anglais, puis je vais analyser cet enseignement à l’aide des méthodes abordées dans le cadre de notre travail sur la pédagogie. Même si je reconnais que la méthode abordée ne s’adresse pas spécifiquement aux adultes, je la trouve suffisamment riche pour pouvoir être analysée avec les outils conceptuels abordés. De plus, ce travail me permettra de mettre à profit les concepts choisis et d’en être plus familier.

 

La Classe accompagnée d’Anglais

M. Coughlin m’a introduit rapidement à sa méthode et comment il mettait en place son enseignement au sein de sa classe. Il avait en charge deux classes de Cinquième et deux classes de troisième. Dans sa méthode de classe accompagnée, il ne faisait pas de différence formelle entre les deux niveaux, mais appuyait certains points.

Disposition de l’espace : L’espace était singulier, les tables organisées en carré autour de la salle, une rangée d’ordinateurs, un tableau fixe, un tableau mobile, une rangée avec des dictionnaires, une armoire laissée à disposition, le bureau du professeur, dans le coin de la salle, destiné à projeter et laissé à disposition des élèves si besoin. Sur un des murs, des rappels autour de la conjugaison des verbes, des mots de vocabulaire, les sons de l’anglais. Tout y était pensé pour permettre de circuler dans la salle. Les élèves avaient le droit d’accéder aux différents tableaux, de bouger les tables, de constituer des îlots. Comme M. Coughlin aime à le dire : « Ce n’est pas ma classe, c’est NOTRE classe ».

La posture du professeur y était également différente de ce que j’avais l’habitude de voir. Une séquence de cours était constituée en général d’un objectif composé de plusieurs sous objectifs et l’élève pouvait évoluer dans la matière dans l’ordre qu’il le souhaitait. Le professeur est dans ce cas-là un guide, accompagnant vers l’autonomie. On peut l’interpréter dans sa position au sein de la classe. Il se trouve en général dans en train de circuler, proposant son aide, corrigeant les exercices donnés. Il remplit les fiches d’évaluation qui permettent aux élèves de se représenter leur progression et de se situer en termes de niveau. Comme il ne passe pas son temps à « faire cours » il peut aider personnellement chaque élève et être plus disponible.

Rôle des élèves : Dans cette méthode, l’objectif à atteindre est bien l’autonomie des élèves et une transformation entre un élève qui écoute passivement et un élève acteur de sa formation et constructeur de son savoir. M. Coughlin a compris que tous n’étaient pas égaux dans l’acquisition de l’autonomie et a mis en place différents outils pour permettre d’aider les élèves à construire leur univers d’apprenant. Il met par exemple en place « La fiche des experts » qui permet de donner et de symboliser les acquis et permettre de nommer certains élèves qui pourront aider les autres. De même les élèves sont incités à s’entraider, à progresser ensemble et à utiliser les ressources des uns et des autres.

 

Choix d’instrumentation.

Pour étudier et questionner ce modèle rencontré lors de mon année de M1, je souhaiterais utiliser l’approche ternaire et trilogique  proposée par Brigitte Albero en 2010. Cette approche reconnaît trois pôles principaux :

  • Le pôle idéel ou la “logique axiologique et épistémique” qui décrit les différentes sources intellectuelles et réfléchissant autour des valeurs qui sont à l’origine des dispositifs étudiés : quel est le terreau idéologique sur lequel naît tel ou tel manière de mettre en place un apprentissage ?
  • Le fonctionnel de référence ou “logique de la rationnalité instrumentale” qui traduit en actes les valeurs vues précédemment et met en place le dispositif, via ses fonctionnalités et son cadre général, via les instruments (au sens large, outils comme mises en place sociales) choisis pour le dispositif
  • Le vécu ou ‘logique de la rationalité  communicationnelle” qui est le “résultat” du dispositif, ce qui en est tiré directement pour les acteurs, enseignant comme apprenant.

 

Ce modèle en trois pôles est, nous allons le voir, très intéressant pour étudier le dispositif mis en place dans notre cas.  Je vais l’étudier “à l’envers” par rapport à ce que j’ai compris de la démarche de M. Coughlin, qui part du vécu et de l’expérience pour mettre en actes des valeurs pédagogiques.

Pour mener cette analyse, je vais exploiter la vidéo du TEDx de M. Coughlin, qui définit la démarche pédagogique, ainsi que mes relevés d’observation l’année dernière, et enfin mon carnet de bord.

 

A l’initiative de la démarche de classe accompagnée, un dispositif vécu

 

Conférence TEDx : Explicitation de ce qui forge le contenu expérientiel du dispositif “Classe Accompagnée”

Si l’on utilise la vidéo de la conférence qui explique la génèse de la création du dispositif, on remarque que le vécu est présent depuis le début “[Les élèves, dans la classe] ils écrivent au tableau, se déplacent librement, utilisent les ordinateurs, y compris celui du prof. Mon rôle à moi c’est de leur donner un travail et de les aider en cours de route. En gros, je les laisse apprendre…” On y voit un retour par rapport au vécu, à l’exigence de la réalité qui est très présent dans l’ensemble de cette conférence. On y suit le choix de M. Coughlin de développer le dispositif par rapport au vécu d’un autre dispositif, le dispositif transmissif classique de l’Education Nationale  :

“J’ai fait cours comme je croyais qu’il fallait qu’on fasse : Je me suis mis au tableau, j’ai raconté mon savoir, j’ai donné des exercices à partir d’un manuel “ C’est en confrontant cette manière de faire à son vécu  : “Le vendredi après midi, [les élèves de seconde] étaient imbuvables” que M. Coughlin se questionne sur l’enseignement, essaie plusieurs formes de rapport intersubjectif aux élèves “Il faut tenir sa classe. Alors j’ai grondé, et j’ai puni. Ca n’a servi à rien.” Il décrit alors son parcours : “Je n’ai pas eu de recette miracle,  alors je leur ai demandé”. Les réponses font appel à sa propre histoire scolaire. Il se met en recherche pour une méthode pour faire “un cours différent”.

Il décrit ensuite son premier dispositif de “Classe accompagnée” selon ce que l’on pourrait qualifier de rationalité instrumentale : il y décrit le fonctionnement de ces cours de manière formelle. Arrive la deuxième étape d’élaboration “Je suis muté dans un petit collège. Je ne peux pas faire comme ça, je n’en ai pas les moyens”.  Il arrive ensuite à la question de l’autonomie “Ils ne sont pas autonomes. Mais est ce que je leur ai appris à l’être ?”. On y voit une critique existante dans la recherche : les dispositifs présupposent acquis les processus cognitifs des agents (Albero, Brassac, 2014)

Il décrit ensuite un modèle contre lequel il s’oppose, les contraintes du modèle classique. Il définit les principales compétences qu’il souhaite développer chez les élèves mais conclut cette définition par “impossible… dans mon parcours, je n’ai pas d’exemples”. Puis lui vient l’idée du jeu vidéo : “Et si je concevais un cours comme on conçoit un jeu vidéo ?” Il définit ensuite les différentes parties nécessaire pour le jeu : didacticiel, règles expliquées par le jeu, exploration à son rythme, le but explicité, liberté dans la progression…

Il décrit ensuite sa manière de faire pour transposer ça “dans le cours, en vrai”. Il décrit donc les différents outils et sa démarche, et sa posture de professeur. Il termine sa conférence par la nécessité de changer, et ce de manière collective.

 

Le Dispositif Idéel

 

Plus que des concepts, des valeurs

Rapidement, en observant les mises en place et le fonctionnement général du dispositif, j’y ai reconnu des outils et des manières de faire que j’avais expérimenté dans mon parcours d’animateur socioculturel , des éléments de la pédagogie active, d’autres provenant de la pédagogie institutionnelle, j’y reconnaissais certains éléments de Freinet à Fernand Oury, y travaillait la pédagogie de projet…

Le terme qui apparaissait régulièrement dans la bouche des professeurs pour qualifier le travail de leur collègue était celui de “classe inversée”, quand lui parlait de classe accompagnée.

En travaillant avec M. Coughlin, j’ai remarqué que plus que des concepts ou une filiation revendiquée, c’était un ensemble de valeurs personnelles, une philosophie de l’éducation basée sur le vécu et sur des expériences menées en classe.

 

Une réflexion pédagogique

“Je veux des élèves qui cherchent, je veux des élèves qui collaborent, je veux des élèves qui réfléchissent, je veux des élèves actifs, je veux des élèves vivants…” dit il dans sa conférence.
C’est peut être ça qui est à chercher chez ce professeur. Là où l’éducation a longtemps été tournée vers un rapport transmissif au savoir, il décide de viser des objectifs opérationnels, des compétences et des littératies plus qu’un savoir formel. D’autant plus qu’en tant qu’anglophone, il sait qu’une langue ne se limite pas qu’à une série de connaissances de grammaire et de vocabulaire : il sait qu’on utilise dans l’usage de la langue de nombreux mécanismes cognitifs, affectifs et que cela ne se limite pas à un pur apprentissage.

C’est cette réflexion pédagogique, au croisement d’un vécu générateur de valeurs d’enseignement, de manières de faire et d’agir inspiré de la pédagogie, que ce professeur met en place le dispositif, reconnu par sa hiérarchie, ses collègues…

Le vécu au centre des mises en place.

 

L’importance du vécu dans l’explication de cette démarche est très prégnant et on y reconnaît une importance dans la mise en fonction du dispositif. Lorsque j’ai assisté M. Coughlin sur de nombreuses séances du dispositif, nous échangions, avec les élèves régulièrement sur les moments vécus en cours, la place des élèves, leurs progressions, leurs manières de faire…

De même, je me souviens d’avoir interrogé ce professeur sur le dispositif, et j’avais commencé par questionner le dispositif fonctionnel (les fiches experts, les guides d’apprentissage, les outils numériques…) et idéel, notamment sur l’autonomie, et qu’à la fin de cet entretien filmé, il avait rappelé des cas très concrets vécus dans le dispositif : le bruit émis par la classe, le désordre relatif, en insistant longuement dessus.

Il lui est arrivé, lors de l’année scolaire, de recevoir des professeurs qui venaient observer le dispositif, et il commençait toujours par rappeler les incidences du dispositif vécu en premier abord, notamment par rapport au bruit. C’était un relevé d’expérience complet qui était fait avec les professeurs concernés.

J’ai également des notes de mon journal de bord et j’ai pu relever régulièrement des réflexions sur le vécu “Avec les tablettes, ça avance beaucoup mieux que sur les PC. Je n’ai utilisé que deux heures pour la séquence !” (17/03/2016)

Par rapport à certains retours d’élèves, chacun reconnaissait la valeur d’être acteur de son propre apprentissage, de ne pas être dans une position passive et de pouvoir avoir un rapport différent avec le professeur pour différents sujets. Je n’ai pas mené un travail plus précis sur un recueil des représentations des élèves concernés, mais dans l’ensemble, ils me paraissaient être assez satisfaits de la méthode de classe accompagnée. Un bilan mené avec les cinquièmes montraient qu’ils avaient acquis de la méthodologie et se connaissait mieux en tant que groupe classe.

Le dispositif fonctionnel

En observant un peu les manières de faire, on remarque différents éléments qui, en réponse à cette réflexion sur le vécu, instrumentent le dispositif.

 

Le libre déplacement/aménagement des lieux : Les élèves sont libres de se déplacer dans “leur” classe, d’aménager la salle en conséquence afin de faire des îlots pour travailler en groupe. Il faut y voir une appropriation au fur et à mesure : j’ai remarqué que les élèves de cinquième étaient moins enclins à déplacer les meubles que les élèves de troisième.

 

Le fonctionnement par séquence : M. Coughlin organisait plusieurs séquences tout au long de l’année qu’il annonçait via un objectif de production et plusieurs objectifs d’apprentissages. Tout au long de la séquence, les élèves devaient remplir les différents objectifs et étaient aidés en cela par le professeur qui avait le temps d’évaluer leur progression. Ce fonctionnement permettait que les élèves “autonomes” puissent quand même progresser et que ceux qui avaient besoin d’aide puissent être aidés. Les contrôles sont préparés d’abord puis passés en fin de séquence, et l’objectif est que tous les élèves prouvent qu’ils ont travaillé sur les objectifs d’apprentissage.

 

Les fiches “experts” : Plusieurs fois, M. Coughlin évaluait les acquis des élèves qu’ils savaient les plus autonomes et affichaient les niveaux d’expertises sur les objectifs d’apprentissage. Les élèves experts étaient invités à aider leurs collègues dans les différents apprentissages et à donner un coup de main sur certains points. Ce système fonctionnait assez bien.

 

Comportements attendus :

Pour mettre en place ce fonctionnement, le professeur a une attente vis à vis du comportement des élèves et de ce qui est attendu dans sa classe. Il met l’accent sur la coopération, le travail commun, la répartition des tâches, l’implication, des repères sur comment organiser son travail (tableau de la méthode agile), une écoute bienveillante et un recours rare à la sanction. J’ai observé qu’en troisième, alors que certains élèves avaient une tendance à l’insolence avec d’autres professeurs, cette tendance était modérée dans le cours d’anglais.

Limites

Pour ne pas faire qu’une lecture univoque du dispositif mis en place par M. Coughlin, je souhaiterais donner quelques limites au dispositif remarqué :

  • Difficulté pour certains élèves de se mettre dans une position active qui peut s’avérer insécurisante, et pour lesquels il faut plus de temps.
  • Laisser aller de certains élèves qui, hors du cadre habituel de cours transmissifs, se permettaient de travailler à moitié. Ils se sont eux mêmes sortis du dispositif d’aide et M. Coughlin a dû signifier clairement la nécessité de changer de comportement
  • A cause de l’année de formation à la réforme des collèges, impossibilité pour le professeur d’être là avec régularité et sensation d’une perte d’efficacité, notamment chez les élèves de cinquième.
  • Dispositif fonctionnant très bien dans le contexte du collège de Josselin, mais qui est contraint à de nombreux aménagements et à un soutien hiérarchique et pédagogique. Difficile à rencontrer dans la totalité de l’Education Nationale.

 

CONCLUSION

Travailler auprès de M. Coughlin lors de cette année 2015 – 2016 m’a permis de voir un ensemble assez cohérent pour présenter les apports de la pédagogie et des sciences de l’éducation dans le grand changement que le monde éducatif en général est en train de vivre. Lors de mon arrivée en stage, j’ai commencé par partager le site LetLearn sur la newsletter que je rédige tous les mois, et certains professeur du collège Saint-Louis-Marie m’ont remercié. L’efficacité que je ressens dans cette approche est le fait que les concepts confus et compliqués autour de la pédagogie de projet, la pédagogie par compétences sont illustrés par des cas très concrets et des mises en situations tout aussi concrètes. Cette année, M. Coughlin est “détaché” et travaille dans les établissements de l’académie qui ont l’idée de mettre en place des dispositifs semblables. Il accompagne les classes “en direct”, il participe à l’enseignement “en réel” plutôt qu’en dispensant des formations “passives” aux professeurs intéressés. J’y retrouve là l’exigence du vécu extrêmement important qui est nécessaire dans le métier pédagogique, qui en constitue le coeur expérientiel, et que les formations et le suivi de l’institution ne prends pas toujours suffisamment en compte…

En reprenant mon travail, je m’aperçois que je pourrais utiliser un autre modèle pour étudier ce dispositif d’apprentissage, comme celui de l’acteur réseau, car le travail de M. Coughlin mobilisait énormément d’outils et d’interactions qui auraient pu être analysées de cette manière.

 

Bibliographie

 

Albero B. et Brassac C. (2013), « Une approche praxéologique de la connaissance dans le domaine de la formation. Éléments pour un cadre théorique », Dans Revue française de pédagogie, 184, 105-119.

 

Albero, B. (2011). Approche trilogique des dispositifs en formation: pourquoi «les choses ne fonctionnent-elles jamais comme prévu». Dans Fonctions et enjeux des outils et dispositifs pour la formation, l’éducation et la prévention, 59-63.

 

Mallard – CREAD, S. Titre de l’article: Étude d’un dispositif de formation destiné à des managers de La Poste Courrier.

 

Ménard, J. C. (2015). Ambiguïtés, explicites et implicites dans les discours sur le métier de professeur documentaliste: quels enjeux collectifs pour la formation des élèves dans le second degré?. Education & didactique, 9(3), 127-141.