Classe Accompagnée, Classe Inversée - mêmes objectifs, mais des chemins différents

Pour être honnête, la Classe Accompagnée n'a jamais eu vocation à être de la Classe Inversée. Les objectifs sont les mêmes et se rejoignent, mais le chemin est différent.

J'ai découvert le principe de base de la classe inversée via les MOOC et la Kahn Academy en 2010, puis le terme Flipped Classroom et ses premières applications dans le secondaire pendant l'été 2011 avec une série de vidéos d'une enseignante américaine de mathématiques, Katie Gimbar. Sa vidéo décrit ce que je ressentais et cherchais à éviter à l'époque, notamment l'impression de n'enseigner qu'aux élèves du milieu du groupe classe en laissant de côté à la fois ceux qui ont du mal à suivre et ceux qui ne sont pas suffisamment stimulés. Sa présentation m'a conforté dans la recherche d'une manière de réellement différencier ma classe.

Dans la définition de la classe inversée qui avait cours en 2012 et que Katie Gimbar explique très bien ci-dessus, l'idée est de translater le contenu théorique en amont du temps présentiel de cours. Avant l'inversion, 90 % du temps de classe était destiné à l'explication du contenu et 10 % à l'application pratique de ce contenu. Le travail à la maison n'est plus des exercices d'applications à faire après l'explication, mais est au contraire la découverte des notions avant le temps d'application en classe. Cette approche a donc pour principal intérêt de dégager du temps de classe pour la mise en pratique des savoirs en présence de l'enseignant qui n'est alors plus "un sage sur l'estrade mais un guide sur le côté" pour reprendre l'expression d'Alison King devenue célèbre ("From sage on the stage to guide on the side" dans College Teaching, Vol. 41, No. 1 (Winter, 1993), pp. 30-35).

Inspiré par ce mouvement, j'ai expérimenté au cours de l'année scolaire 2011-2012 différentes formes de classes inversées : des vidéos données aux élèves en amont (créées par moi ou pas) et des vidéos de cours (ou autres productions) créées par les élèves eux-mêmes. En fin d'année scolaire j'avais proposé aux élèves de créer « un héritage », la mise en forme de savoirs qu'ils avaient acquis dans l'année à destination des élèves qui allaient leur succéder. J'ai trouvé ces approches vraiment intéressantes et motivantes pour les élèves, mais pas pour tous, en tout cas, pas de suite et pas tel quel. Dans nombre de situations, j'ai vécu la classe inversée comme un retour en arrière, sans vraiment réussir à l'époque à comprendre pourquoi. J'avais donc rejeté la Classe Inversée comme dispositif cible et continué mes recherches.

J'ai tout de même intégré des techniques issues de la classe inversée dans ma pratique, mais à partir du moment où je me refuse à donner des travaux de découverte aux élèves en amont, on ne peut pas dire que je pratiquais la classe inversée telle que Marcel Lebrun et les tenants du Flipped Classroom l'entendaient. En parallèle, je me suis nourri d'autres courants de réflexions tels que la pédagogie de projet et la gamification, mais je restais surtout convaincu par l'approche actionnelle qui était la mienne, et qui était devenue dans les années 2000 la démarche principale en langues vivantes.

La démarche actionnelle de projet en Langues Vivantes a déjà inversé la classe

En fait, la démarche actionnelle, qui est une pédagogie de projet, rend l'impact de la classe inversée nettement moins révolutionnaire. Pour se rendre compte de ce que ça implique, on peut consulter le site de Dominique Le Ray sur la question. Le site date visiblement un peu, tout comme la démarche après tout, mais son explication est claire. Eduscol en propose aussi une explication plus officielle.

L'idée de la démarche actionnelle, préconisée par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) publié en 2001, est d'utiliser la tâche comme déclencheur pour agir avec la langue et le projet comme contexte donnant du sens aux apprentissages. Le projet est important parce qu'il ancre l'apprentissage dans le réel et répond à la question naturelle de l'élève - "pourquoi j'apprends ça ?". Les tâches sont les étapes nécessaires à la réalisation du projet. Mais l'essentiel n'est pas la réussite du projet, c'est le besoin de communication que la tâche provoque ; et de ce besoin découle l'apprentissage.

L'autre aspect important est que la communication personnelle orale est considérée comme primordiale. C'est d'abord par l'oral que l'on apprend à communiquer et c'est en apprenant à communiquer que l'on apprend une langue. Donc, pour un cours de langue, sans pour autant perdre de vue les autres compétences langagières, une part majoritaire du temps doit être dévolu à l'expression orale des élèves et non pas de l'enseignant.

Du coup, dans une démarche actionnelle de projet, il y a peu de place pour le cours magistral et bien plus de place pour les échanges entre élèves et la co-construction des savoirs. Les élèves sont sollicités, mis en activité et au centre de leurs apprentissages.

Dans une telle démarche, la classe est déjà inversée par rapport à une pédagogie traditionnelle telle que le définirait Jean Houssaye.

Le renouveau du cours magistral - un apport d'information au moment opportun pour la réalisation d'une tâche

Les pratiquants de la classe inversée partagent le même constat. La pédagogie traditionnelle est sclérosante et l'école a besoin d'une autre approche. Ce constat a mené certains à déclarer la mort imminente du cours magistral. Pour Marcel Lebrun et les défenseurs de la classe inversée, en tout cas en 2012, « dans 5 ans, dans 10 ans, dans 50 ans (…) le temps du magistral est révolu ». C'est ce qu'il dit dès le début de cette "causerie" avec Christophe Batier : 

Fait intéressant, Christophe Batier et Marcel Lebrun ont fait une seconde causerie 4 ans après celle ci-dessus.

Le cours magistral serait donc condamné. Mais en langues vivantes, en tout cas dans les cours en démarche actionnelle, le cours magistral a déjà pour ainsi dire disparu. Alors que la classe inversée, loin de faire disparaître le magistral, le renforce et le systématise en donnant des vidéos de cours à voir en amont. Avec cette approche, le cours magistral n'est pas révolu, il est externalisé.

Et puis, est-ce que la disparition du cours magistral est bien nécessaire ? Plutôt que d'en souhaiter la disparition, on peut peut-être plutôt en profiter pour le redéfinir en s'appuyant sur ce qui en fait sa force. Marcel Lebrun le dit lui-même, les « moments de synthèse » ont une véritable utilité. Les discours des sachants peuvent être des moments précieux d'explicitation de notions. Si quelque chose doit changer, ce devrait être le côté « improvisé » des discours. On sait quand un prof prend la parole, on ne sait jamais quand il la rend. Les élèves doivent savoir pourquoi ils écoutent, dans quel but et pour combien de temps. Les « tutoriels » sur Youtube, auxquels les élèves sont habitués et qu'ils consultent sur de nombreux sujets (le plus souvent sans rapport avec le scolaire) sont autant de cours magistraux, et ces explications en ligne sont un phénomène majeur. Selon un rapport Google de 2015, "91% des utilisateurs de smartphones consultent leur appareil en accomplissant une tâche", et les recherches incluant les termes "how to" sur Youtube "augmentent de 70% tous les ans". Les vidéos Youtube ne sont pas interactives en elles-mêmes. Les commentaires peuvent servir pour poser quelques questions aux présentateurs, mais seul un faible pourcentage des spectateurs y intervient. Comme en classe en fait. La popularité grandissante de ces vidéos montre bien qu'il y a bien un appétit, un besoin pour des explications magistrales. Mais ces explications doivent être claires, bien présentées et être respectueuses du temps que le spectateur consacre à leur écoute. Quand on enseigne nous devons nous aussi être respectueux du temps et de l'effort que cela demande à notre auditoire de nous écouter. Il nous faut également, et c'est important, parler au moment le plus approprié dans le processus d'apprentissage.

Ce que je préfère faire en classe, c'est de concevoir des cours magistraux comme on prépare une conférence, en allant à l'essentiel et en laissant peu de place à l'improvisation, puis d'en faire une version vidéo. Le version vidéo peut être réalisée en amont ou être une capture vidéo pendant le cours, comme ça peut se faire en conférence. Les logiciels pour tableau blanc interactif, comme le libre et gratuit OpenSankoré, intègrent cette fonction simple à utiliser (sous le nom de Podcast). Le logiciel enregistre sous forme de vidéo le visuel affiché et peut enregistrer la voix (ce qui fait qu'on est pas obligé de filmer l'enseignant lui-même). Les élèves peuvent aussi être associés à la démarche en s'occupant eux-mêmes de la régie. Les élèves écoutent l'explication « en live » en classe, mais sans avoir besoin de prendre de notes, et en se consacrant pleinement à l'écoute d'une explication théorique utile à la réalisation d'une tâche pratique clairement identifiée et anticipée. Dans une démarche inversée, ils pourront à tout moment, au gré de leurs besoins, réécouter ce cours puisqu'il sera disponible en ligne (Moodle, ENT ou même Youtube). Dans une démarche formative on pourra leur demander, plus tard, de prendre ce cours vidéo en notes, ce qui aurait au minimum l'avantage d'en provoquer deux écoutes. Un aspect essentiel est que ce cours magistral n'intervient pas en amont, mais au moment opportun, lorsque les élèves, comme les utilisateurs de smartphones identifiés par Google, ressentent un besoin d'information dans l'optique de la réalisation d'une tâche.

La classe inversée, telle qu'elle était définie en 2012, n'était pas une démarche dans laquelle je me suis reconnu et je ne me suis pas senti enclin à rejoindre la mouvance. L'entrée par la capsule vidéo en amont n'avait pour moi aucun intérêt dans le contexte pédagogique qui était le mien. Qui plus est, trop de mes élèves, dans ce collège REP d'un secteur socialement défavorisé, ne se prêtent pas à une injonction de travail en ligne avant le cours. Mes élèves sont trop peu à avoir l'équipement technique, l'environnement familial et l'outillage cognitif nécessaires pour tirer réellement profit d'une telle classe inversée. Ce constat ne concerne pas que mes élèves. L'émission de France Culture, Rue des Écoles, du 19-02-2017, est consacré aux inégalités scolaires avec en fin d'émission un segment sur la Classe Inversée (à partir de la minute 50). L'intervenant, Vincent Failet est agrégé de SVT, doctorant en didactique et professeur en lycée à Paris. Il a étudié la classe inversée et dit (à la minute 55) que "selon les études, 10 à 30% des élèves ne font pas le travail" à la maison nécessaire pour la classe inversée. Il souligne également le "paradoxe : si tous les cours se faisaient en classe inversée, les élèves n'auraient absolument pas le temps de travailler leurs capsules ou les cours qui seraient donnés à la maison".

Pourtant cette démarche de classe inversée a un intérêt réel : celui de permettre une autre manière de travailler pendant le temps de cours.

La démarche actionnelle et la classe inversée sont des formes de pédagogies hybrides

Dans son livre, Classes Inversées, enseigner et apprendre à l'endroit (avec Julie Lecoq chez Canopé, 2015), Marcel Lebrun a peaufiné son analyse. Il y parle de la forme de la classe inversée dont on parlait en 2012 comme d'une « classe translatée » (p.12) c'est-à-dire le « niveau 1 de la classe inversée ». Le cours est translaté parce que « le cours théorique (…) précède encore et toujours la partie consacrée aux exercices, aux applications, etc. » mais ce cours théorique est « confié aux médias » avant la partie présentielle. Marcel Lebrun considère que cette étape est un « premier pas gigantesque ». C'est certainement vrai pour les enseignants qui pratiquent un cours magistral et qui cherchent une manière de changer leurs pratiques sans remettre en cause la transmission préalable de savoirs. Mais ce premier pas, les praticiens de l'approche actionnelle ont déjà été incités à s'en passer dès 2001. Avec l'approche actionnelle la partie théorique vient après la définition et l'acceptation par les élèves d'un besoin en vue de la réalisation d'une tâche la plus réaliste possible. C'est parce qu'on a besoin de faire quelque chose que l'on se pose la question du comment. L'action précède la théorie et est ensuite rendue possible par elle.

Si, avec Marcel Lebrun, on regarde la classe inversée au-delà de ce niveau 1, la démarche actionnelle et la classe inversée peuvent se rejoindre. Le projet sur lequel la démarche actionnelle s'appuie incite les élèves à vivre autrement le « rapport présence/distance » et le « rapport entre enseigner et apprendre » (Lebrun) pour aller vers un dispositif hybride. 

En somme, beaucoup de profs de langues, en tout cas ceux qui se sont appropriés les recommandations du CECRL, vont buter sur la classe inversée s'ils y entrent par le niveau 1. J'ai mis du temps à voir en la classe accompagnée une forme de classe inversée à cause de cela. D'ailleurs, je continue à avoir des réticences à me réclamer de la classe inversée dans la mesure où elle implique des contenus à travailler à la maison. Le principe de devoirs à la maison est problématique, en particulier en collège, et il fera l'objet d'une prochaine note de blog pour approfondir la réflexion.

La Classe Accompagnée - un dispositif transitoire vers l'autonomie que vise également la Classe Inversée

La classe inversée telle qu'elle est décrite et préconisée par Marcel Lebrun est très prometteuse, mais elle s'applique à des étudiants qui sont déjà capables d'une bonne dose d'autonomie à la fois dans le travail pendant la classe et en dehors de la classe. C'est un prérequis que mes collégiens n'ont pas tous, loin s'en faut. Cette classe inversée là ne peut pas être un moyen pour mes élèves, mais il peut être un but. Mes élèves ne peuvent pas - encore - travailler une part importante du cours à la maison; ils ne peuvent pas non plus, structurer leurs apprentissages en classe en se fixant eux-mêmes des objectifs en collaboration avec leurs camarades. Mais on peut faire de ces manières de travailler des objectifs vers lesquels tendre.

Les élèves du secondaire, et en particulier du collège, ne sont pas, pour une part significative, en mesure de découvrir seul, en amont du cours, des contenus nouveaux. On ne peut pas non plus faire reposer tous les cours pour une part importante sur le travail personnel des élèves en dehors de la classe, le travail hors de la classe serait disproportionné. La généralisation d'une pratique reposant sur autant de travail à la maison dans le secondaire français ne me paraît pas envisageable. La Classe Accompagnée se veut une prise en compte de cette réalité.

La classe inversée de Marcel Lebrun permet à ses étudiants de faire usage de leur autonomie, leur créativité et leurs capacités de collaboration. Ils peuvent ainsi mettre en place des stratégies pour "apprendre à apprendre" qui leur seront salutaires pour leur formation continue dans un monde au futur imprévisible. Mais cela nécessite des élèves qu'ils soient déjà très avancés vers cette autonomie de travail. La Classe Accompagnée a pour ambition d'aider tous les jeunes élèves à développer une autonomie qui leur permettrait de réussir dans un environnement comme celui-là.

La Classe Accompagnée n'est donc pas à la base une Classe Inversée, mais elle peut être vue comme un dispositif transitoire de formation des élèves à la Classe véritablement Inversée, dans la quelle les élèves devenus étudiants sont les précepteurs de leurs propres projets et parcours d'apprentissages. Les élèves ont tous besoin d'avoir les moyens d'acquérir à l'école les capacités qui leur permettront d'avoir une autonomie de travail qui rendra la Classe pédagogiquement Inversée possible et efficace. Ils doivent être en mesure de donner du sens à leur travail en dehors de la classe, mais aussi être capables de tirer profit du temps de cours « démagistralisé » où les autres élèves sont autant de ressources pour un apprentissage co-construit et collaboratif.

L'enseignant doit changer de posture et changer son rapport à la transmission des savoirs et capacités. Mais, c'est aussi vrai des élèves et derrière eux, des parents. Le but de mon dispositif est l'accompagnement progressif de ce triple changement.

Alan COUGHLIN, février 2017

 


 

Classes Inversées : Enseigner et Apprendre à l'Endroit !

Marcel Lebrun

Julie Lecoq

Canopé Edition, 2015

 

 

 

 

La Pédagogie traditionnelle : une histoire de la pédagogie

Jean Houssaye

Éditions Fabert, 2014