Le dispositif de Classe Accompagnée peut parfois être intimidant. Concevoir une séquence de cours complète en amont en ayant pensé à tous les éléments avant de se lancer peut-être angoissant. Et puis les élèves ne jouent pas nécessairement le jeu de but en blanc.
Ce que je propose ici ce sont des pistes pour opérer une transition en douceur vers une Classe Accompagnée.
Plusieurs choses à garder à l'esprit :
La Classe Accompagnée n'est qu'un dispositif parmis d'autres dans une même classe
La recherche montre que ce qui importe surtout c'est la variété des actions menées auprès des élèves. Ne jetons pas ce que nous faisions de bien avant sous prétexte d'un passage en Classe Accompagnée. Alternons ! Combinons ! Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Si la Classe Accompagnée est un dispositif qui vous convient, enrichissez-le de ce que vous saviez déjà faire.
Les parcours en autonomie n'ont pas vocation à être la seule manière de travailler. Il ne faut pas hésiter à commencer (ou terminer) une séance en autonomie avec une activité commune plus dirigée. Cela peut être du calcul mental, une compréhension orale, un débat sur un fait d'actualité... L'autonomie de chacun en classe est un bel objectif, mais la classe offre également la possibilité d'une vie de groupe. C'est tout aussi bénéfique parfois pour les élèves de faire la même chose que tout le monde au même moment et d'échanger à propos de cette chose. La visée de l'autonomie ne doit pas nous faire perdre de vue les avantage d'un groupe, du moins quand celui-ci n'est pas traiter comme une juxtaposition d'individus disposer par l'enseignant.
Accessoirement, ces activités supplémentaires n'ont pas nécessairement besoin d'être en rapport direct avec la séquence. En langues vivantes notamment, une brève compréhension suivi d'un échange sur un thème qui n'a rien à voir celui de la séquence est toujours un bon exercice de pratique réelle de la langue. C'est aussi une manière d'opérer une transition et d'aider les élèves à focaliser sur notre discipline. Ils se seront ainsi "mis à l'anglais" (dans mon cas) avant d'avoir à se mettre en autonomie.
Se laisser du temps
Concevoir une séquence en Classe Accompagnée prend du temps, et notre temps n'est pas extensible. Rien n'oblige à tout faire tout de suite. On peut faire des bouts de séquences en Classe Accompagnée, voire des séances uniques. C'est toujours frustrant de continuer à faire quelque chose "comme avant" alors que l'on vient de trouver quelque chose de nouveau que l'on pense mieux. On voudrait en faire profiter tous les élèves tout de suite. Mais le "comme avant" n'est probablement pas si mal, surtout si on le maîtrise mieux que le truc tout nouveau. Laissez-vous le temps de la transition. Concrètement, vous pouvez préparer une séquence en Classe Accompagnée par trimestre ou une par niveau pour la première année, par exemple.
Ne pas surcharger les parcours en autonomie
On a tendance, en langues vivantes en tout cas, à vouloir tout mettre dans nos séquences. Les ressources à notre disposition sont tellement nombreuses et tellement bien ! Et puis il faut penser au culturel, au linguistique, aux cinq activités langagières... Et pour chaque élément, une seule ressource nous paraît tellement léger. Mais si nous demandons en plus à nos élèves de s'auto-réguler nous risquons surtout de les noyer et de les bloquer.
Le format Classe Accompagnée avec un parcours en autonomie sur l'ensemble des activités n'est d'abord pas forcément le meilleur dispositif pour toutes les séquences ou tous les projets. Certains projets, ou certaines portions de séquences ont besoin d'une réelle linéarité, d'une chronologie bien définie. Ensuite, il n'est pas obligatoire de faire l'ensemble d'une séquence avec le format parcours en autonomie. Un cours magistral dialogué peut tout à fait être la meilleure approche pour une découverte notionnelle par exemple, notamment en début de séquence. Soit parce que didactiquement ça s'y prête mieux, soit pour la simple raison que les élèves ont besoin d'un changement de rythme. Enfin, une seule séquence peut avoir plusieurs parcours en autonomie à suivre. La trame d'une séquence, dans ses grandes lignes pourrait alors être :
- activité commune en classe complète
- cours magistral dialogué sur la notion qui vient d'être travaillée
- parcours en autonomie sur 2 ou 3 activités
- évaluation formative (donc non notée)
- parcours en autonomie sur 3 ou 4 activités avec remédiations
- finalisation des projets et / ou préparation de l'évaluation sommative
Le tout pourrait prendre entre 6 et 9 séances de durées classiques. Le premier parcours en autonomie dans ce schéma pourrait ne prendre qu'une séance avec des activités plutôt courtes.
Les élèves ont besoin de temps pour s'adapter
C'est surtout ce dernier point qui est essentiel. Après tout, c'est d'abord pour les élèves que l'on fait ce que l'on fait.
Les élèves n'ont pas toujours l'habitude de travailler en autonomie. Il va leur falloir du temps pour apprendre. Et comme dans tout apprentissage ils feront des erreurs et testeront les limites. Dans le cas de l'autonomisation ça veut dire que certains ne travailleront pas, le bruit va monter et certains élèves vont sursolliciter l'enseignant. La mise en autonomie peut s'apparenter, pour des élèves qui n'en ont pas l'habitude, à un abandon angoissant ou une récréation. "Le prof ne nous dit pas ce qu'il faut faire tout le temps" donc "je suis perdu, je ne sais pas quoi faire", voire "on a pas de travail à faire".
Travailler de soi-même ça s'apprend, et dans certains cas ça peut prendre un peu de temps et nécessiter un suivi de près. Débuter une Classe Accompagnée par le grand bain avec une partie en autonomie longue et incluant de nombreux documents c'est risquer de perdre beaucoup d'élèves en route. Il est probablement plus raisonnable de faire une transition en douceur. Après tout, la mémoire de travail est ainsi faite qu'il va être trop difficile pour les élèves, comme pour n'importe qui, de s'appropier de nombreux contenus nouveaux en même temps qu'un fonctionnement nouveau, sans parler de l'usage possible d'un appareil numérique ou d'un logiciel nouveau (lecteur mp3, plateforme Moodle...) que l'on aurait intégré dans le parcours.
Il faut penser à intégrer un élément nouveau à la fois, en plus du contenu du cours. Mais pas plus, en tout cas pas beaucoup plus. Quelques activités possibles en illustration :
Choisir les activités et apprendre à se déplacer
Les élèves ont à faire une série d'exercices classiques : un exercice du manuel, une image avec quelques questions et une brève rédaction à écrire. L'ensemble devrait prendre moins de 30 mn. Pour introduire l'idée que les activités en Classe Accompagnée sont à faire dans l'ordre que l'on souhaite et que les déplacements utiles sont permis, les ressources pour les trois activités sont à disposition des élèves à trois endroits différents de la salle. Au lieu d'avoir une feuille avec les trois activités imprimées dans un ordre identique pour chacun, les élèves sont invités à aller chercher l'activité qu'ils souhaitent réaliser là où elle se trouve. L'enseignant joue alors les chefs d'orchestre en s'assurant de la fluidité de la répartition en encourageant les élèves qui en ont besoin à se lever d'abord, puis à se rendre en priorité là où il y a le moins de monde. Au bout de la demie-heure prévue, on procéde à une mise en commun en proposant aux élèves de faire la correction dans l'ordre qu'ils souhaitent, et en respectant leur choix.
Apprendre à utiliser la feuille de parcours en autonomie
On peut procéder de la même manière une seconde fois, mais plutôt que de proposer une mise en commun au bout d'un temps défini, on peut introduire la feuille de parcours avant que les élèves n'aient eu le temps de tout faire. Les élèves peuvent y cocher les activités déjà faites, voir celles qui restent à faire et peut-être même y découvrir une ou deux de plus. L'utilité de la feuille de parcours est plus flagrante pour les élèves lorsqu'elle est introduite au moment où ils en en besoin, plutôt qu'en amont. La fois suivante, lorsque l'on commencera la phase d'autonomie par la distribution de la feuille de parcours, les élèves seront plus à même se de projeter dans ce qu'elle implique.
Apprendre à choisir ses partenaires de travail
Lorsqu'on offre la possibilité aux élèves de travailler à plusieurs, ils ont tendance à se mettre entre amis sans considération pour les conditions de travail que cela implique. Ils n'ont pas forcément souvent l'occasion de le faire et entendent en profiter. Ce n'est pas un mal en soi, après tout, il est toujours plus agréable de travailler entouré de gens que l'on apprécie. Ce qu'il leur faut, c'est d'apprendre à donner la priorité au travail. En classe, on peut donner aux élèves une série d'activités à faire individuellement en leur laissant la plus totale liberté dans la configiration des groupes, s'ils souhaitent travailler en groupe. Le travail est individuel mais l'envirronement reste collaboratif. Le premier enseignement que l'on transmet ici est que travailler à plusieurs c'est s'entraider et non tricher. L'objectif de l'enseignant lors de cette session est d'accompagner les élèves dans leurs choix de groupe.
Plutôt que d'entrer en conflit avec des élèves parce qu'ils se sont mis à six et qu'ils parlent forts, il conviendrait plutôt d'entrer en conversation. "Je comprends que vous ayez envie d'être entre vous, mais est-ce la meilleure manière d'être efficace ? Pensez-vous être une gêne pour vos voisins ?". Il est important de ne pas être accusateur, dans le ton surtout. Et il peut être très efficace de dire que dans un premier temps on fait confiance. "Très bien, si vous le dites, je vous crois. Je vous laisse travailler comme vous l'entendez pour l'instant et je reviens faire le point avec vous tout à l'heure." Si le groupe est toujours perturbateur par la suite, il est généralement plus facile de le leur faire admettre si on leur avait dit qu'on leur faisait confiance. A ce stade, la discussion est toujours de mise. Si l'on sépare le groupe, il est préférable que ce ne soit pas vécue comme une décision arbitraire, mais la conclusion d'une réflexion menée avec eux. Même si évidemment, la décision est celle de l'enseignant. "Je vous avais fait confiance, force est de constater que ça ne marche pas. Je vous propose une autre solution. A votre tour de me faire confiance. On l'applique et je reviens tout à l'heure faire le point avec vous." Si jamais le groupe n'avait finalement pas été perturbateur, les félicitations s'imposent.
Cette activité avec placement libre fait également souvent ressortir les élèves ou duos d'élèves qui sont isolés du reste de la classe. Ça peut être l'occasion de les aider à créer un lien constructif avec les autres.
Dans tous les cas, lors de cette session de travail, il est important de veiller à ce que les activités préparées n'impliquent pas que l'enseignant soit une ressource disciplinaire. D'ordinaire, ce serait bien sûr le cas. Mais dans cette situation, l'enseignant doit pouvoir être libre d'intervenir auprès des élèves, parfois relativement longuement, sur cette question des choix de partenaires. Si l'enseignant est une ressource nécessaire pour que les élèves puissent avancer (en tant que source de correction notamment) il se retrouve coincé : il doit à la fois répondre aux questions de cours sous peine d'empêcher les élèves travailleur d'avancer (et risquer qu'ils ne se dissipent à leur tour) et intervenir auprès des élèves dont les choix de groupes sont inopportuns. Lorsque l'on est tiraillé de la sorte, les discussions avec les élèves tournent vite court et les décisions que l'on prend de séparer ou d'imposer des groupes sont vécus comme étant arbitraires et ne sont donc pas propices à la construction de leur capacité de choisir leurs partenaires de travail. Et tant que les élèves ne sauront pas pourquoi et comment on choisi un groupe, l'environnement collaboratif est compromis.
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